Par Wilcox TOYO, Psychologue/Journaliste | Octobre 2025 | Port-au-Prince, Haïti. —
Dans les ruelles d’Haïti, la jeunesse avance avec un poids sur le cœur, des yeux fatigués et des rêves suspendus, piégée dans une réalité qui l’écrase lentement. Sous le fardeau des crises à répétition, un mal invisible ronge la génération montante : la détresse psychique. Entre peur, dépression, anxiété, désespoir et perte d’avenir, la santé mentale des jeunes Haïtiens devient un enjeu national trop souvent ignoré.
Dans des écoles désertées, des quartiers contrôlés par des gangs, des camps de déplacés ou sur les routes de l’exil, un cri silencieux s’élève : celui d’une génération qui ne peut plus porter seule le poids d’un pays à genoux. Derrière chaque regard vide d’un adolescent déplacé, derrière chaque sourire forcé d’un étudiant sans perspective, se cache une douleur muette que la société refuse d’entendre.
Les jeunes Haïtiens grandissent dans un climat de terreur quotidienne. L’insécurité, les kidnappings, les balles perdues, l’exil forcé des proches créent un environnement psychologiquement toxique. Le stress permanent est devenu la norme. Les troubles anxieux, les crises de panique, les cauchemars et la perte de motivation se multiplient, mais peu osent en parler. La peur n’est plus seulement physique : elle est devenue mentale, existentielle. Beaucoup vivent dans un état de fatigue émotionnelle chronique, où l’idée d’un avenir meilleur s’efface peu à peu sous les décombres d’un pays en crise.
À cela s’ajoute l’absence d’opportunités économiques, qui détruit les repères identitaires et la confiance en soi. Des milliers de jeunes diplômés errent sans emploi, tandis que d’autres fuient vers des terres inconnues, au prix d’un déracinement douloureux. Ce sentiment de perte, perte de dignité, d’appartenance, d’espoir nourrit la dépression et, parfois, conduit à des pensées suicidaires ou à des tentatives de suicide. Dans les camps de déplacés ou les quartiers marginalisés, la santé mentale devient un luxe. On survit avant tout. On n’a pas le temps de se soigner.
Pourtant, les familles, les écoles et les communautés ont un rôle essentiel à jouer pour enrayer cette descente aux enfers. La guérison commence souvent tout près de nous. Les écoles peuvent devenir des espaces de dialogue, de soutien émotionnel et d’éducation à la santé mentale. Les familles, souvent elles-mêmes en difficulté, doivent être sensibilisées afin de reconnaître les signes de détresse, isolement, irritabilité, perte d’intérêt ou silence prolongé. Quant aux communautés, elles doivent s’unir pour briser la stigmatisation, encourager la parole et l’écoute. Parler de santé mentale ne devrait plus être une honte, mais un acte de courage collectif.
Sur le plan concret, bâtir une jeunesse résiliente passe par plusieurs étapes : former les enseignants, créer des espaces d’écoute dans les écoles, intégrer la santé mentale dans les politiques publiques et valoriser les jeunes leaders communautaires. Les organisations sociales et les institutions doivent offrir un accompagnement accessible, culturellement adapté et sans stigmatisation.
Enfin, il est crucial de mettre en lumière la résilience haïtienne, cette force intérieure qui, malgré les épreuves, continue de fleurir dans le cœur des jeunes. Car aujourd’hui, le plus grand défi d’Haïti n’est pas seulement de reconstruire ses routes et ses écoles, mais de réparer ses esprits.
Entendre le cri silencieux de la jeunesse, c’est déjà un acte d’amour et de responsabilité nationale.